Quid des vaches sacrées en Inde ?

Croiser des vaches en liberté dans la rue fait partie de notre quotidien. Elles sont de races différentes, parfois en groupe, parfois avec des petit veaux, toujours très nonchalantes, insensibles au chaos ambiant, la tête dans une poubelle ou en train de ruminer sur le bord de la route ! Cela fait partie du charme de l’Inde et on se régale toujours à les prendre en photos (surtout les petits veaux) !

On le sait donc : la vache a un statut particulier en Inde, mais quand il s’agit de définir précisément ce statut, il y autant de versions différentes que d’interlocuteurs ! « Un collègue m’a dit qu’on ne pouvait pas les toucher, j’ai lu qu’on peut quand même en boire le lait, ah ouai moi j’ai lu le contraire, mais c’est un dieu ou pas ? la dernière fois j’ai vu un élevage de vaches c’est qu’ils doivent bien les toucher non ? » Voila à peu près nos discussions à ce sujet ! En général les indiens bottent en touche avec un « you know, India, it is complicated ! ».

J’ai décidé d’éclaircir (un peu) ce mystère une bonne fois pour toute !

J’ai eu du mal à trouver des informations fiables, lisant tout et son contraire, mais à force de recouper les informations, je pense avoir une synthèse assez juste ! Dites moi si vous avez eu des échos contraires !

Les vaches indiennes sont en fait la plupart du temps des zébus avec une bosse sur l’encolure. Généralement plus grande que nos vaches, elles ont également de grandes cornes assez impressionnantes. Il existe également des buffles mais qui sont vraiment très différents, on ne peut pas les confondre. Je n’ai pas de doctorat en vache, vous me pardonnerez cette description peu scientifique de la vache indienne ! (je suis prudente je sais que j’ai un lectorat qui s’y connait en vache !)

La vache est-elle un dieu ?

Non ! On confond souvent avec Nandi qui est un taureau blanc. On voit effectivement Nandi à l’entrée de certains temples hindous, c’est la monture du dieu Shiva. On le trouve d’ailleurs très généralement représenté couché devant l’entrée des temples dédiés au dieu où les hindouistes le vénèrent. On lui parle dans l’oreille et étant situé en face de Shiva, il va lui transmettre notre demande.

La vache n’est donc pas une divinité, ni l’animal de compagnie des dieux.

La vache a-t-elle un caractère sacré et quelle est son origine ?

Les versions divergent selon ce qu’on lit, mais globalement la vache est synonyme de fertilité et de nourriture (selon le Lonely planet). Selon le Routard, le respect de la vache est le respect de l’ashima ou de l’absence de volonté de tuer, c’est un signe de respect envers la mère universelle, cette vache qui symbolise la maternité, la charité, la pitié.

Selon la tradition hindouiste, la vache est également considérée comme issue d’un océan de lait. Non je n’ai pas abusé de bang lassi, voici l’explication de cet océan de lait. Certains dieux se mirent en tête de baratter l’océan afin de produire l’Amrita équivalent de notre ambroisie, après 1000 ans de péripéties (à base d’alliance avec les diables, animaux magiques, guerres et cataclysmes que vous pouvez lire ici ils finirent par arriver et de cette réussite naquît un nombre considérable d’êtres merveilleux dont notre fameuse vache. (à se demander qui a abusé de bang lassi !).

Cette vache c’est Surabhi, la vache d’abondance. Les vaches donnent cinq produits sacrés, ou pancagavya (le lait, le caillé, le beurre, l’urine et la bouse), qui jouent toujours un rôle essentiel dans la vie quotidienne de millions d’indiens. Le mélange de ces cinq éléments est considéré comme extrêmement purificateur pour l’âme et le corps. Dans de nombreux villages, il parait que l’on peut voir encore les paysans enduirent le seuil de leur demeure d’un liquide à base de bouse et d’urine de vache. Il paraît que la mixture a des vertus pesticides. Les bouses sont conservées et servent de combustibles. Le lait est largement consommé par tous les indiens, y compris les hindouistes les plus extrêmes.

Le Routard en a une vision plus pragmatique, selon eux, le caractère sacré de la vache trouve ses origines dans les fréquentes famines, en faisant de la vache la mère de l’homme, la seule qui puisse nourrir les nourrissons, les sages ont donc assuré la vie des enfants.

Le caractère sacré serait-ce une invention moderne ?

Un livre « Le Mythe de la vache sacrée » a fait scandale en 2002, l’auteur y explique que ce caractère sacré est en fait une invention moderne. L’historien Dwijendra Narayan Jha montre, exemples à l’appui, que la vache est servie comme offrande aux dieux védiques, ceux la même qui ont contribués au barattage de l’océan. L’animal est même consommé par les habitants, les Aryens, qui venaient d’arriver des steppes d’Asie centrale dans les plaines du nord du pays. Et il est également sacrifié pour accompagner la migration de l’âme du défunt dans le cycle des réincarnations. « La dimension sacrée de la vache est un mythe et sa viande faisait partie du régime alimentaire non végétarien et des traditions diététiques des ancêtres indiens », conclut Dwijendra Narayan Jha.

C’est au XIXe siècle, à la suite du mouvement créé par le leader religieux Dayanand Saraswati, que la protection de la vache devient un outil de mobilisation politique contre les colonisateurs, avec, en filigrane, la croyance que les invasions musulmanes auraient imposé la consommation de bœuf à l’Inde.

Quelques années plus tard, Gandhi écrit : « La mère vache est à plusieurs égards meilleure que la mère qui nous a donné naissance. », sympa. Il poursuit : «  Notre mère nous donne du lait pendant quelques années et ensuite s’attend à ce qu’on soit à son service lorsqu’on grandit. La mère vache ne nous demande rien hormis de l’herbe et des granulés. ». L’Inde indépendante a interdit l’abattage et l’exportation de vaches, mais certains Etats sont allés plus loin. En 2010, le parti nationaliste hindou du BJP a fait passer une loi dans l’Etat du Karnataka pour interdire l’abattage de buffle, allant jusqu’à pénaliser la possession de viande de bœuf.

A cette lecture on arrive déjà à avoir une idée plus précise : la vache est sacrée pour les hindous pour des raisons religieuses et certainement également ancrées dans le pragmatisme d’autrefois nécessaire à la survie. On peut la toucher et en boire le lait, mais il est interdit de la consommer. Ces interdits sont de l’ordre religieux mais aussi légal dans certains états, malgré quelques récentes controverses à ce sujet.

En fait, c’est un peu plus compliqué, voici le résumé d’un article paru dans le nouvel obs sur la situation actuelle.

Aujourd’hui l’Inde a le premier troupeau de bovins du monde : presque 200 millions de têtes. Même si très peu d’Indiens consomment de la viande de bœufs et malgré ces récentes mesures l’Inde est devenue le deuxième exportateur de viande bovine dans le monde, avec une part de marché de 20%, juste derrière le brésil. Ces exportations sont notamment dues au buffle d’eau. Est-ce que le buffle d’eau est sacré, c’est une autre histoire ! Ceci dit, certaines ONG de défense des animaux soupçonnent les abattoirs de faire passer de la viande de bœuf pour du buffle.

Le précédent gouvernement a encouragé à partir de 2007 l’exploitation des carcasses de buffles laitiers et a soutenu la modernisation des abattoirs : c’est la révolution rose (en comparant ce phénomène à la révolution verte des campagnes, rose pour la couleur de la viande, j’imagine que rouge était légèrement trop connoté !).

Seuls une dizaine d’États autorisent l’abattage de buffles, un travail quasiment uniquement réalisé par des musulmans. Mais selon PETA India, on compterait aujourd’hui 30 000 maisons d’abattage illégales.

Cette industrie fait l’objet d’un important marché noir organisé par des gangs qui exportent notamment beaucoup de vaches au Bangladesh pour l’Eid d’octobre, je les ai vu, je confirme ! Les vaches indiennes pas les gangs ! D’ailleurs quand on est riche au Bangladesh, cela est beaucoup mieux vu d’acheter une vache indienne qu’une vache bangladeshi, le fin du fin reste quand même la vache importée d’Australie voire le chameau Indien !

La premier ministre actuel, Narendra Modi, nationaliste hindou, a fermement condamné cette révolution rose et a promis de prendre des mesures pour enrayer ce phénomène lors de sa campagne. Aujourd’hui aucune décision n’a encore été prise.

Ainsi, même au pays du spirituel et du sacré par excellence, les sirènes de l’argent ont fait des victimes. Pas sûr que les vaches conservent leur caractère sacré encore très longtemps.

Ceci dit, tout cela ne répond pas notre première question, que font ces vaches dans la rue ?

Quel est le statut des vaches urbaines ?

La réalité est malheureusement un peu triste : si les bovins sont libres, c’est moins parce qu’ils sont « sacrés » que parce qu’ils ne coûtent ainsi rien à leurs propriétaires. La vache se nourrit dans les poubelles (d’ailleurs la bouse de campagne coute plus cher que de la bouse de ville, eu égard à sa qualité !), de dons des passants et va même jusqu’à déguster les affiches aux murs, le soir, elle rentre chez elle se faire traire. La plupart appartiennent en effet à des fermes urbaines, on en avait visité une dans la vieille ville d’Ahmedabad.

Il y a également les vieilles vaches, en fin de vie. Etant donné qu’il est interdit de les euthanasier, leurs propriétaires préfèrent les abandonner dans les rues. En plus de la loi, il y a également une dimension religieuse : « Les membres des castes supérieures considèrent le cadavre de vache comme polluant ; si ils le touchent ils doivent se purifier. ». Que leur arrive-t-il alors ? Et bien les hors-castes (plus bas que les basses castes), les Intouchables, sont appelés à la rescousse pour embarquer la carcasse dont ils récupèrent le cuir et la viande.

J’ai lu également qu’on ne les laissait pas mourir de vieillesse mais qu’il était possible de les vendre à des musulmans tout en sachant pertinemment l’avenir de la bête. A la lumière du précédent paragraphe on est tenté de croire en la deuxième option.

A Delhi on note de plus en plus de kidnapping de vaches ! En 2013, des caméras de surveillance ont surpris quatre malfrats en train d’enlever précipitamment une vache sur un parking, en la poussant sur le siège arrière d’une voiture de la taille d’une Twingo. Les enlèvements se terminent souvent mal, dans un des 30 000 abattoirs illégaux que compterait l’Inde. Cette clandestinité pose évidemment des problèmes sanitaires.

Selon le Routard, depuis mai 2005, étant donné les gros embouteillages urbains, une loi a été promulguée autorisant les policiers à faire bouger les vaches à l’aide de leurs fameux bâtons.

Tout fout le camp !

Quel est le statut des vaches à la campagne ?

Dans les villages aussi, il semble bien que derrière le caractère sacré des vaches et la fierté d’en posséder se cache l’intérêt économique, bien compréhensible quand on est confronté à une vie assez dure.

Souvent les buffles servent uniquement à la production de lait, et les bovins sont utilisés pour labourer. Leur production de bouses est également essentielle, car les sols ne connaissant pas la jachère, le fumier est essentiel pour assurer un certain niveau de productivité.

Apparemment les vaches ont une production de lait très limitée (2 litres par jour), aussi les paysans quand ils en ont les moyens possèdent-ils des bufflesses, plus généreuses.

Voilà, vous savez tout ! J’ai lu tellement d’infos contradictoires que j’espère être dans le vrai, en tout cas voici mes sources :

http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20140728.AFP2790/inde-malgre-modi-les-exportateurs-de-viande-bovine-entendent-bien-prosperer.html

http://fr.wikipedia.org/wiki/Nandi_%28mythologie%29

http://base.d-p-h.info/fr/fiches/premierdph/fiche-premierdph-1168.html

Routard et Lonely planet sur l’Inde du Nord

http://fr.blastingnews.com/international/2015/01/les-vaches-indiennes-sont-elles-vraiment-sacrees-00234985.html

10 réflexions sur “Quid des vaches sacrées en Inde ?

  1. Article super intéressant (comme d’hab’ :p), et qui donne à réfléchir sur cette tension qu’il existe entre la viion que el’on peut avoir d’un passé plus ou moins « idéalisé » ou « glorifié » et les impératifs économiques modernes …

    Aimé par 1 personne

    • Extrêmement idéalisé tu as raison.. Mais en même temps sont ce vraiment des impératifs ? L’impératif du toujours plus très certainement mais hormis celui ci, je ne sais pas..

      J’aime

  2. Alice, tes articles sont canons! J’ai adoré tout savoir sur les vaches indiennes, et le style est vraiment sympa ! je me mets à la suite (oui je suis à la bourre !!!!)

    J’aime

Laisser un commentaire